Synergies Venezuela Nº 2 (2006) pp. 219 - 241
L’affectivité et le comportement non-verbal en classe de langue étrangère
Christine Arnaud
Universidad Autónoma de Barcelona. Barcelona, Espagne
cris@christinearnau.jazztel.es
Résumé
Nous abordons dans cet article les aspects affectifs dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères et nous intéressons plus précisément aux comportements non verbaux des apprenants et des enseignants. Nos réflexions sont basées sur la thèse de doctorat (Arnaud, 1999) intitulée: «Les enseignants et les apprenants en classe de langue étrangère. Étude des aspects affectifs», et sur une étude postérieure concernant les interactions en classe de langue. Des marqueurs non verbaux liés à des paramètres tels que l’implication, l’extraversion, le fait de se sentir à l’aise en classe, la cohésion de groupe et l’adhésion au professeur, sont décrits sur la base de nombreuses heures de classe filmées. Le rôle notamment du regard, du silence, du rire, de l’expression faciale, de certains gestes, certaines postures est décrit et analysé, parallèlement aux jugements émis par les apprenants au début et à l’issue du cours.
Mots-clés:
Affectivité, non-verbal, comportements, langue étrangère.
La afectividad y el comportamiento no verbal
en clase de lengua extranjera
Resumen
El presente artículo aborda los aspectos afectivos en la enseñanza/aprendizaje de las lenguas extranjeras y se refiere más específicamente a los comportamientos no verbales de los estudiantes y de los profesores. Está basado en una tesis de doctorado (Arnaud, 1999) titulada: «Les enseignants et les apprenants en classe de langue étrangère. Étude des aspects affectifs», y en una investigación posterior que trata de las interacciones en la clase de lengua extranjera. Indicadores no verbales relacionados con parámetros tales como la implicación, la extraversión, el hecho de sentirse cómodo en clase, la cohesión del grupo y la adhesión al profesor son delimitados y descritos, en base a numerosas horas de clase filmadas. El papel, entre otros factores, de la mirada, el silencio, la risa, algunos gestos, posturas y expresiones faciales son descritos y analizados, paralelamente a los juicios expresados por los alumnos al iniciar y al acabar el curso.
Palabras clave:
Afectividad, no verbal, comportamientos, lengua extranjera.
Affectiveness and non verbal behavior in foreign language class
Abstract
The present article discusses the affective aspects that appear when teaching and learning foreign languages and it specifically refers to the non-verbal behaviors of students and teachers. It is based on doctorate’s thesis (Arnaud, 1999) titled: «Teachers and students in foreign language class. Study of affective features», and on a later investigation focused on the interactions that take place in a foreign language classroom. Non-verbal indicators related to parameters such as implication, extraversion, feeling comfortable in the classroom, group cohesiveness and adhesion to the teacher are defined and described, using the filming of many hours of classroom lessons. The role, among other factors, of the look, silence, laugher, gestures, postures and facial expressions are described and examined, together with the judgments and opinions expressed by the students at the beginning and end of the course.
Key words:
Affectiveness, non verbal, behaviors, foreign language.
A E. Scheflen (1981: 145), un des théoriciens de la communication non verbale, établit un parallèle entre la communication humaine et un orchestre en train de jouer. «Dans chaque cas, l’exécution montrera un style et des particularités propres, mais suivra aussi une ligne et une configuration générales». Il postule ainsi une grammaire du comportement, pouvant être rapprochée d’un modèle orchestral de la communication. Chaque individu prend part à la communication en apportant son style particulier, tout en suivant une partition, moins explicite qu’une composition musicale, mais qui a néanmoins été apprise inconsciemment. Le comportement des apprenants et des enseignants en classe de langue étrangère n’échappe pas à cette partition inconsciente. Les uns et les autres interviennent selon des rôles préétablis et ne parviennent à changer les phrases musicales que dans certaines conditions, quand le professeur les y incite, notamment.
Nous avons observé ces musiciens hésitants ou inspirés tout au long de nombreuses heures de cours filmés, nous avons pris connaissance de leurs attentes et avons voulu connaître la perception qu’ils avaient des événements de la classe. Nous avons pu percevoir comment cette « trame en contexte », dont parlait Birdwhistell (1981: 292), ce flux de communication, fait de fibres s’entrelaçant les unes avec les autres, était composé dans une bonne mesure de gestes, de mimiques, de regards, de rires, de sourires, de tons de voix, qui, de par leur présence ou leur absence, étaient empreints de sens, d’intentions. Et notre propos est de rendre compte ici de quelques-unes des remarques auxquelles nos observations nous ont conduite, dans un domaine demeuré assez peu exploré, dans le cadre de la classe de langue (au moins en Europe): le domaine de l’affectif.
Les descriptions et les analyses que nous soumettons au lecteur ont pour cadre théorique une étude intégrée (C. Arnaud, 1999) concernant un public de jeunes (16 filles et 17 garçons) pour la plupart compris entre 18 et 25 ans, participant à un cours intensif d’été de quatre heures et demie par jour. Ces jeunes étaient répartis en treize groupes de quatre niveaux différents, allant du niveau débutant à un niveau équivalent à 300 heures de français. Ils souhaitaient acquérir rapidement des connaissances et des savoir faire en français afin de s’en servir professionnellement ou cherchaient à obtenir un diplôme de langue exigé par leur université. Ils étaient dans leur immense majorité à la fois catalanophones et castillanophones et appartenaient à une catégorie sociale relativement homogène (assez aisée). Les enseignants, quant à eux, avaient moins de trente ans pour la plupart et possédaient une formation récente en méthodologie du FLE. Ils n’avaient pas tous le même style didactique.
Notre but était de découvrir quelles étaient les actions précises susceptibles de faciliter la prise de parole de l’élève, son implication, sa motivation, entre autres facteurs. Pour ce faire, nous avons fait converger plusieurs sources de données: l’observation de nombreuses heures de classes filmées, deux questionnaires adressés aux apprenants (avant le cours et à l’issue de celui-ci, le premier reflétant les attentes des élèves et le second leur perception par rapport à l’expérience vécue), un questionnaire adressé aux enseignants (sur leur style didactique et leurs habitudes).
Nous nous proposons, dans un premier temps, de présenter les paramètres d’ordre affectif qui, de notre point de vue, jouent un rôle essentiel dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Dans un second temps, nous décrirons les comportements non verbaux en rapport avec ces paramètres. Puis nous commenterons quelques unes des remarques concernant le non verbal auxquelles nous a conduit notre recherche, sans prétendre, bien évidemment, analyser tous les faits observés.
1. L’affectif: quelques paramètres pour l’analyse
L’affectivité est une notion ayant suffisamment de poids pour qu’on lui accorde généralement une importance primordiale dans les comportements humains et en même temps trop imprécise pour que les psychologues ou les psychopédagogues l’utilisent fréquemment. Dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, on reconnaît que la composante affective exerce une influence décisive, au même titre que la composante cognitive. Pour D. Coste (1984), en cours de langue étrangère, la place du relationnel et de l’affectif pourrait être amplifiée par la particularité de cette discipline. En effet, le cours de langue est le seul domaine d’enseignement où l’objet d’étude soit en même temps le médium: l’élève utilise la langue étrangère pour apprendre cette même langue étrangère. Ainsi, en raison des limitations du verbal, l’affectif pourrait peser lourdement sur les conditions dans lesquelles se déroule l’apprentissage.
On peut définir l’affectivité, de manière très synthétique, comme une notion de nature évaluative (voir Bogaards, 1988: 124): il y a affectivité quand le sujet réagit, se prononce, apprécie ou rejette le vécu. On peut par ailleurs considérer qu’il s’agit d’un phénomène non unitaire, pouvant tour à tour se manifester comme un processus actif et dynamique ou comme une réponse, un état, une trace. D’une part, en tant que processus actif et dynamique, l’affectivité agit aussi bien à un stade pré-cognitif (en canalisant ou en bloquant l’information destinée au niveau cognitif) qu’à un stade post-cognitif, en facilitant ou en bloquant le passage des connaissances à la composante comportementale. Ainsi, un apprenant se sentant incapable de comprendre un natif, perdra tous ses moyens et sera effectivement incapable de comprendre tout enregistrement audio, vidéo ou n’importe quel natif en chair et en os parlant la langue étrangère étudiée (blocage pré-cognitif). Un autre étudiant, ayant acquis des connaissances de cette langue mais appréhendant la situation d’examen, se verra privé de tous ses moyens et se montrera incapable de montrer devant un examinateur ce qu’il sait (blocage post-cognitif). D’autre part, en tant que réponse ou qu’état, l’affect est un comportement: l’élève timide en cours de Langue Étrangère (LE) rougit quand l’enseignant lui donne la parole ou rit nerveusement quand il se trompe ou n’arrive pas à trouver les mots pour s’exprimer, par exemple.
Si l’on se penche sur les études qui, en particulier aux Etats-Unis et au Canada, ont été consacrées aux comportements d’ordre affectif en rapport avec la classe de langue, on constate que l’affectivité est le plus souvent mentionnée comme une macro-catégorie englobant des catégories plus pointues telles que: l’anxiété, l’extraversion, la peur de se tromper, l’empathie, la motivation, etc. La liste des sous-catégories de l’affectivité ayant fait l’objet d’études est longue. Cependant, seules certaines d’entre elles ont été explorées de manière plus approfondie ou semblent correspondre empiriquement à des comportements observables et observés assez généralement en cours de LE (voir à ce sujet l’inventaire des problèmes et des situations favorables proposées par des enseignants britanniques. J. Hafield, 1992). Nous basant sur ces deux critères, nous avons, pour notre part, retenu les paramètres d’ordre affectif suivants:
1) l’implication
2) l’extraversion et la spontanéité (vs introversion)
3) le fait d’être à l’aise en classe (vs anxiété)
4) la cohésion de groupe et la convivialité
5) l’adhésion au professeur.
Ces cinq paramètres ont guidé notre recherche et en constituent la colonne vertébrale. Pour leur définition exhaustive, nous renvoyons le lecteur à la thèse de doctorat de C. Arnaud (1999). Nous dirons cependant que la notion d’implication a été empruntée à M.-C. Lauga-Hamid (1990), qui la définit comme « (…) le phénomène qui se produit quand le sujet penche vers le pôle de la personne» et s’éloigne du Ç sujet apprenant».
apprenant tâches personnes
je
C’est quand le sujet se rapproche du «je personne» que se manifeste l’implication de l’élève. S’éloignant de la situation dans laquelle «(…) l’apprenant est cadenassé par les contraintes du rôle dont il est investi (...)È, il parvient à échapper au rituel pédagogique l’obligeant à montrer en permanence qu’il sait parler, qu’il a acquis des connaissances langagières et se montre capable de se projeter personnellement dans son apprentissage (Idem, p. 57)
2. Les marqueurs d’observation
Chacun des paramètres retenus (voir ci-dessus) a été décrit en terme de comportements verbaux et non verbaux. Ces comportements concernent en premier lieu l’apprenant, premier responsable du processus d’acquisition de la langue cible mais aussi l’enseignant, capable quant à lui de stimuler ou d’entraver l’émergence de comportements positifs (d’un point de vue affectif) chez l’élève. Nos grilles d’observation concernent donc d’une part l’apprenant et de l’autre l’enseignant. Parmi les comportements observés, le non verbal apparaît à la fois comme l’élément essentiel permettant d’interpréter les données, mais aussi comme l’élément difficile à saisir, risquant de fausser l’observation. Ainsi, un commentaire ironique ou moqueur d’un enseignant peut être interprété comme une critique, visiblement mal prise par le destinataire, ou au contraire comme une remarque affectueuse, sans conséquence négative sur l’élève. La différence est dans le ton adopté pour dire: “Décidément, aujourd’hui c’est pas ton jour!” Mais le ton sur lequel la phrase est prononcée n’est pas tout. La différence d’interprétation émane surtout de la trame des relations instaurées par l’enseignant auprès de ses élèves et de cet élève plus particulièrement. Aucun marqueur pris isolément n’a de sens en lui-même, c’est le réseau des indicateurs verbaux et non verbaux pris dans son ensemble qui confère un sens aux plus petits actes se produisant en classe.
M. Long (1980: 29) a souligné l’importance et la priorité du système interactionnel et du contexte dans l’observation des phénomènes en classe de LE. Pour lui,
(...) le problème se situe dans la manière où les observations sont reliées aux contextes particuliers où les phénomènes sont observés (...)”. Se situant du point de vue de l’observateur, il se pose la question de savoir comment coder certains faits tels que: le professeur demande de répéter, par exemple. Il attire l’attention à ce propos sur le fait que dans les interactions en classe de langue, les catégories et les phénomènes pertinents ne sont pas toujours “observables” à première vue. Ils doivent être inférés ou déduits: “Nous ne voyons pas le professeur en train de punir S4 (un étudiant), ou essayant de rétablir son autorité; nous le voyons en train de conjuguer le présent et de corriger la prononciation de “trousers” (...) (M. Long, 1980: 18).
Bien évidemment, ces points de vue concernent a fortiori le comportement non verbal. Nous sommes donc confrontés à l’incontournable subjectivité de notre regard mais aussi tenus d’interpréter les faits et d’essayer de découvrir le réseau de significations sous-jacentes aux comportements observés.
3. Les marqueurs non verbaux. Description
Nous inspirant du schéma comportemental verbal et non verbal conçu par A. E. Scheflen (1981: 147), qui décrit différents canaux de communication, accompagnés de leurs modalités, nous avons retenu les aspects généraux suivants:
Pour l’apprenant
1.
Comportement vocal paralinguistique:
a.
ton de la voix: enjoué, enthousiaste (vs monotone, morne); intensité de la voix: parle fort ou parle bas.
b.
bâillements
c.
rires (non nerveux vs nerveux et non moqueurs)
2.
Comportement kinésique
a.
les mouvements corporels: mobilité (se lever, changer de place, etc.) vs immobilité
b.
l’expression faciale ouverte vs fermée; détendue vs tendue, anxieuse; l’élève rougit, baisse la tête; sourire, expression bienveillante de sympathie.
c.
le regard (alerte, mobile vs morne, fixe); regardant indifféremment l’enseignant ou les pairs vs tourné vers le professeur, regardant fixement devant soi ou le livre
d.
la position corporelle: détendue, décontractée vs tendue, crispée; indiquant la fatigue; tournée vers les apprenants, tournée vers le professeur.
Pour l’enseignant
1.
Comportement vocal paralinguistique
a.
ton (enjoué, enthousiaste, chaleureux vs monotone, morne; patient, compréhensif vs autoritaire, et/ou intransigeant, irrité, menaçant)
b.
rires non moqueurs vs moqueurs, ironiques, sarcastiques
2.
Comportement kinésique
a.
mouvements corporels: mobilité vs immobilité
b.
expression faciale: souriante, ouverte vs fermée; bienveillante, de sympathie vs non bienveillante, sérieuse, sévère; détendue vs tendue
c.
le regard porté indistinctement sur tous les élèves vs sur certains élèves.
d.
la position corporelle: décontractée, détendue (vs plus ou moins tendue)
3.
Comportement proxémique: plus ou moins grande proximité par rapport aux élèves
Nos observations, réalisées dans le cadre précédemment énoncé, étaient de manière plus précise guidées par la description suivante:
Description de ces marqueurs
Pour l’apprenant
Ton et intensité de la voix: on considère que l’apprenant s’exprime à voix haute quand il utilise la même intensité de voix que celle qu’il utiliserait dans la vie quotidienne. Par contre, on considère qu’il parle à voix (plutôt) basse s’il baisse la voix dans les activités de groupe, comme on le ferait dans une bibliothèque. Lorsque le professeur l’interroge, il parle à peine assez fort pour être entendu. Une partie de la classe n’entend pas.
Bâillements: ceux-ci se produisent à des moments de fatigue, d’ennui et sont considérés comme des manifestations contraires à l’implication.
Rires: ont été notés comme un comportement positif quand l’apprenant rit de ses propres erreurs (ce qui exclut le rire nerveux dû à la peur de se tromper, qui n’est que la manière d’extérioriser ses tensions) et rit à propos de certains événements de la classe sans intention moqueuse (ce qui exclut les rires provoqués par l’erreur d’un autre, qu’il s’agisse ou non du rire “correcteur” tel que l’a défini Bergson, dont le but est d’inciter l’autre à ne pas répéter une erreur; les rires de soulagement, faisant suite à une intervention supposant une certaine tension ou les rires renfermant une certaine agressivité, ce qui exclut aussi les rires répondant à une plaisanterie du professeur ou ceux que pourrait provoquer un commentaire en aparté). Les rires nerveux sont assez difficiles à identifier. Ils sont associés à un événement négatif pour la personne qui l’émet. Ils peuvent faire suite, par exemple, à une production défectueuse, à un moment particulièrement tendu, à une question difficile.
Expression faciale: elle est considérée ouverte quand l’élève semble à l’écoute des autres et prêt à réagir par un sourire, un éclat de rire, une remarque personnelle, etc. Elle est considérée fermée quand l’apprenant est impassible, ne donne pas l’impression d’écouter avec intérêt ou de vouloir réagir à ce qui est dit. Elle est considérée détendue quand elle se rapproche de l’expression de quelqu’un que rien ne vient perturber dans un moment de repos. Les mouvements de la tête sont harmonieux et plutôt lents, de même que les mouvements du regard. Elle est au contraire tendue quand les mâchoires et les muscles du visage sont crispés, les gestes de la tête sont brusques, nerveux, inquiets, de même que les mouvements du regard.
Regard: Le regard est alerte quand il est mobile et se pose sans mouvements brusques d’une personne ou d’un objet à un autre. Les yeux ont un éclat brillant et une fixité momentanée. Le regard se pose indistinctement sur le professeur ou sur les pairs, il n’est pas statique et va des uns aux autres, sans se focaliser sur l’enseignant. À l’opposé, l’apprenant ayant peur de se tromper, anxieux, peu impliqué, etc. regarde un point indéterminé situé devant lui, ne correspondant à rien de précis. De même, il s’absorbe sans raisons dans la lecture du livre ou de ses notes de classe. L’apprenant peu autonome dépendant du professeur regarde avec fixité ce dernier, même quand il n’a pas la parole, établissant un lien de dépendance excessif qui l’empêche d’établir facilement des interactions avec le reste de la classe. Le regard peut également être fixe au moment où l’esprit de l’étudiant quitte la classe pour des parages inconnus.
Rougeurs: l’élève rougit quand il est interrogé, se trompe, prononce mal, etc.
Position corporelle, gestes: L’étudiant détendu s’installe confortablement sur sa chaise, légèrement avachi, le dos reposant sur le dossier de la chaise; les jambes ouvertes, les pieds bien posés à plat sur le sol. Il croise les jambes dans une position d’ouverture. Il peut même arriver à s’affaler sur la table, ou bien il repose la tête sur sa main, sur son bras. Il se penche en avant dans les activités de groupe. Il y a une certaine mobilité. À l’inverse, l’étudiant tendu croise les jambes et les maintient serrées l’une contre l’autre. Il se maintient immobile. Le pied ou la jambe par moment bouge de manière syncopée (jambes croisées, balancement d’avant en arrière de la jambe ou du pied libre), selon un rythme dont la rapidité est proportionnelle à la nervosité du moment. Il peut tordre une gomme, une mèche de cheveux ou un élastique, manipuler un stylo, de manière compulsive. Il peut passer la main de manière brusque sur les cheveux. Il se tient plutôt droit, de manière assez rigide. Son dos a tendance à ne pas reposer sur le dossier de la chaise.
Gestes indiquant la fatigue: l’étudiant retire ses lunettes, se frotte les yeux ou la base du nez. Il s’affale sur la table, la tête s’incline, le dos se voûte, etc.
Position corporelle tournée vers le professeur ou vers les apprenants: l’élève reste fondamentalement tourné vers le professeur, même dans les activités où prédominent les interactions avec les autres apprenants. À l’inverse, dans les activités de groupe, l’étudiant tourne sa chaise vers les autres, si besoin est en tournant le dos au professeur. Lors d’un débat il se tourne vers ses pairs, qu’il prend à partie.
Pour l’enseignant
Ton: quand l’enseignant fait subir à l’élève des expériences négatives (rires moqueurs, moqueries, sarcasme, expressions décourageantes, irritation, impatience, critiques, réprimandes) c’est souvent le ton -davantage que le fond- qui détermine l’interprétation du message. Par exemple, la phrase “Tu es fatigué, aujourd’hui?”, adressée à un élève qui bâille ostensiblement, est à un interpréter comme une critique, en raison, à la fois, du ton quelque peu “acide” sur lequel elle est prononcée et en raison du moment où elle est dite: suite à un geste volontairement peu discret de la part de l’apprenant.
Rires: le professeur peut être la source des rires éclatant dans la classe. Le rire peut être une manifestation d’humour, sans aucune intention critique. Mais il arrive que l’enseignant cherche à asseoir son autorité, à laisser libre cours à son irritation ou son impatience en les déguisant sous la forme d’une plaisanterie. Bien que la cible de cette plaisanterie réponde par un rire, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’ait pas capté l’intention critique. La réaction négative peut se manifester de manière différée, montrant que l’élève n’a pas été dupe. L’enseignant peut aussi, ne sachant pas interpréter le sens des rires des élèves, laisser certains utiliser le rire moqueur, la moquerie ou le sarcasme, mettant dans l’embarras un étudiant de la classe. Rares sont les enseignants assez rapides dans leur réaction pour ne pas emboîter le pas aux rires moqueurs de certains élèves.
Mouvements corporels, mobilité: Le professeur mobile se déplace dans la classe parmi les élèves. S’il reste sur place, il n‘est pas statique. Quand la mobilité (incitant à la spontanéité et à l’extraversion) est doublée de décontraction (mettant à l’aise l’élève), les gestes ne sont pas brusques, mais plutôt souples. Parallèlement, le professeur qui se déplace volontiers dans la classe est souvent expressif d’un point de vue gestuel. À l’inverse, l’enseignant statique reste derrière sa table d’où il semble dominer la situation.
Expression faciale: l’expression bienveillante correspond à celle du sujet qui semble accueillir les paroles des apprenants avec sympathie et compréhension (cf. description de l’expression faciale des apprenants, valable aussi pour les enseignants).
Position corporelle: le professeur décontracté adopte des positions corporelles proches de celles qu’il pourrait adopter en dehors de la classe: il s’assied sur la table, sur l’accoudoir de la chaise, s’appuie contre le dossier de la chaise, contre le mur de la classe. Il croise les jambes dans une position ouverte. À l’inverse, l’enseignant tendu reste figé, les bras croisés, adoptant une posture de repli sur lui-même. Il est souvent debout, les bras tendus s’appuyant perpendiculairement sur la table. Il reste debout devant le tableau ou derrière sa table.
4. Rapport entre les paramètres d’ordre affectif
et les marqueurs d’observation
Chaque comportement que nous venons de décrire peut se rattacher à un des paramètres d’ordre affectif censés favoriser ou entraver l’acquisition de la langue cible. Nous posons, par exemple, comme hypothèse à confirmer ou à infirmer, qu’un élève plus détendu en cours aura moins peur de se tromper, prendra davantage la parole et multipliera par conséquent les occasions de pratiquer la LE. Ainsi, le marqueur: expression faciale détendue correspondrait au paramètre: “être à l’aise en classe”. Nous présentons ci-dessous les paramètres d’ordre affectif associés aux marqueurs verbaux et non verbaux retenus pour nos observations de classes filmées:
Étudiants
Marqueurs/paramètres d’ordre affectif
Marqueurs |
Paramètres d’ordre affectif |
1. Intervient spontanément a) réponses spontanées b) questions, remarques c) demande d’explications d) réclame la réalisation d’une activité e) montre qu’il a compris f) pose des questions sur le déroulement du cours, prend des initiatives |
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2. S’adresse directement aux autres apprenants sans passer par le professeur |
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3. Peu d’hésitations dans les prises de parole |
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4. Plaisante (sans agressivité et sans raillerie). Source. |
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5. Rit sans nervosité (réponse) a) de ses propres erreurs b) sans intention moqueuse |
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6. Manifeste ses idées, ses sentiments personnels, réaction personnelle que suscite une activité |
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7. Montre spontanément de l’intérêt pour les autres apprenants |
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8. Travaille volontiers en tandem, en groupe |
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9. Disposition immédiate à la réalisation d’une activité |
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10. S’absorbe dans le travail (opposé à: se distrait) |
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11. Rythme de travail rapide. Pas de temps mort dans la réalisation d’une activité |
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12. a) Maintient l’intérêt à ce que dit l’enseignant (opposé à: se distrait) b) coopère avec le professeur |
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13. Demande des explications sur le cours, à la pause, en cours après le cours |
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14. Prend congé amicalement, de manière non formelle |
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15. Évite d’intervenir |
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16. Se moque des autres apprenants |
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17. Réclame la pause. Arrive en retard. S’absente après la pause ou pendant le cours |
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18. Ton. voix a) ton enjoué, enthousiaste vs monotone, morne b) intensité de la voix |
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19. Expression faciale. Regard a) ouverte (vs fermée) b) détendue (vs tendue, anxieuse) c) regard alerte d) regarde indifféremment le professeur, les étudiants e) regarde souvent devant lui, son livre f) regarde très souvent le professeur g) rougit, baisse la tête h) sourire, expression bienveillante de sympathie i) regard fixe |
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20. Position corporelle a) détendue, décontractée (vs tendue, crispée) b) indiquant la fatigue c) tournée vers le professeur d) tournée vers les apprenants |
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21. Mobilité |
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22. Éléments paralinguistiques. Émissions vocales a) bâillements b) rires nerveux |
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23. Débit (rapide vs lent) |
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Enseignants
Marqueurs/paramètres d’ordre affectif
Marqueurs |
Paramètres d’ordre affectif |
1. Encourage à intervenir spontanément a) questions à un étudiant particulier b) questions lancées à toute la classe |
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2. Encourage à exprimer des idées et des sentiments personnels |
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3. Encourage la discussion en classe, les échanges d’idées |
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4. Choix de thèmes, de matériels motivants |
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5. Variété de supports, activités, aptitudes mises en œuvre en classe |
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6. Évite les expériences négatives a) rires moqueurs du groupe b) aide à l’expression (souffle, etc.) |
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7. Plaisante, rit sans intention moqueuse |
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8. Se montre patient, bienveillant |
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9. S’intéresse aux étudiants en tant qu’individus |
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10. Bonne disposition à aider les apprenants dans la réalisation des activités de la classe |
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12. a) Met en valeur les bonnes performances (éloges, remarques positives; b) Optimisme par rapport aux objectifs à atteindre |
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13. a) Fait travailler en équipe; b) Facilite les relations interpersonnelles |
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14. Rapports amicaux avec le groupe |
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15. a) encouragements à l’expression; b) incitation au dépassement |
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16. Évite les thèmes ayant un contenu pessimiste ou déprimant |
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17. Encourage l’intérêt porté à la culture de la langue cible |
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18. Corrige les apprenants a) sans interrompre b) en interrompant c) ne corrige pas d) corrige lui-même e) fait corriger par l’élève ou un autre étudiant |
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19. Centre l’attention sur lui (négatif): a) accapare la parole b) dirige les activités c) surveille de près l’activité de l’apprenant, interrompt fréquemment l’activité du groupe d) orchestre le rire du groupe |
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20. Centre principalement les activités sur les aspects formels de la langue |
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21. Fait subir aux apprenants des expériences négatives: a) rires moqueurs, moqueries, sarcasme b) expressions décourageantes c) irritation, impatience d) critiques, réprimandes |
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22. Ton a) enjoué, enthousiaste, chaleureux; b patient, compréhensif; c) monotone, morne; d) autoritaire et/ou intransigeant, irrité, menaçant |
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23. Expression faciale. Regard a) souriante, ouverte (vs fermée) b) bienveillante c) détendue d) sérieuse, sévère e) non-bienveillante, irritée f) regarde indistinctement tous les étudiants |
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24. Position corporelle décontractée, détendue (vs plutôt tendue) |
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25. Mobilité du professeur |
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26. Rythme de travail rapide (vs lent) |
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27. Débit rapide (vs lent) |
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28 Les élèves interviennent, posent des questions personnelles |
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29. Les élèves plaisantent, rient, indépendamment du professeur |
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30. Les élèves parlent à haute voix (vs à voix basse) |
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31. Les élèves collaborent avec le professeur (répondent rapidement, obéissent aux consignes) |
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5. Remarques découlant de nos observations
et des questionnaires
Le silence de l’enseignant
Le silence, quand il est assumé par l’enseignant en cours de LE, est à nos yeux associé à l’implication de l’apprenant. L’effacement du professeur incite l’élève à s’impliquer, à être autonome, à prendre en main son propre apprentissage et ses initiatives passent par la parole. Il y a un contraste très marqué entre les classes où la voix de l’enseignant s’entend à tout moment et celles où plusieurs minutes s’écoulent sans qu’on l’entende. Dans ces classes, les élèves regardent les autres, se tournent vers les autres, s’adressent aux autres, leurs posent des questions, leurs coupent la parole, etc. Le discours peut s’orienter vers un discours plus authentique, plus proche de la vie. Le professeur cédant la parole à ses élèves, accompagne le plus souvent ce comportement d’autres actions qui correspondent au style didactique nommé par L. Schiffler (1980) le style intégratif, opposé au style directif caractérisant l’enseignant « homme orchestre », protecteur ou autoritaire qui a tendance à accaparer la parole.
Le temps de parole étant la première des priorités exprimées en terme d’attentes par les apprenants, il n’est pas étonnant de constater que le professeur le mieux jugé par les élèves soit celui qui s’efface et cède presque constamment la parole à ses élèves. Remarquons que les élèves les plus silencieux, souvent pour des raisons d’inhibition, sont ceux qui -dans leurs souhaits exprimés avant le cours- réclament le temps de parole le plus long (allant parfois jusqu’à dépasser 70%!). Il est possible d’interpréter cette exigence excessive (car il s’agit parfois d’élèves débutants) comme une indication du désir ressenti par les élèves que l’enseignant les fasse sortir de leur coquille.
La bienveillance et la patience de l’enseignant ont aussi l’occasion de se manifester dans l’attente silencieuse plus ou moins longue des productions des apprenants. Le professeur peut être tiraillé dans son désir de fournir les mots dont a besoin l’élève (procédé du “soufflage”) et son désir de lui laisser le temps de trouver les mots dont il a besoin par lui-même. Il se peut qu’un savant dosage soit nécessaire, pour arriver en alternance à stimuler à la fois la production, rassurer l’élève et le pousser à se prendre en main et à se débrouiller avec ses propres moyens.
Le silence des apprenants
Pour éviter de devoir prendre la parole l’apprenant adopte souvent le comportement le plus efficace: éviter que son regard croise celui de l’enseignant. L’élève se plonge dans la lecture de ses notes ou de son livre. Il arrive aussi qu’il fasse des apartés avec l’élève qu’il a à ses côtés. Une manière originale d’éviter de parler a été adoptée par un adolescent ayant de grosses difficultés pour s’exprimer à l’oral. Il dialoguait par moment en aparté avec d’autres étudiants. À d’autres moments, il commençait à parler à voix haute dès qu’un élève ou le professeur parlait, ce qui rendait inaudibles ses paroles. Quand l’enseignant lui faisait remarquer qu’il devait attendre que l’autre se taise pour parler et que finalement il se taisait, pour écouter l’élève, ce dernier se plongeait dans le plus complet mutisme. Quand le professeur s’étonnait et l’incitait à parler, profitant du fait que le professeur parlait, cet élève reprenait la parole et parlait en même temps que lui, rendant son discours inaudible, et ainsi de suite.
Le regard
Le regard d’un apprenant extraverti/spontané et à l’aise en classe est un regard mobile, disponible, pouvant se poser tout autant sur les autres apprenants que sur l’enseignant. Il est alerte et n’hésite pas à croiser le regard du professeur. Interrogés avant le cours, les élèves ont à 85% affirmé regarder avant tout l’enseignant en classe. Ceux qui ont dit regarder surtout leurs pairs ont tous été des élèves “forts”, particulièrement spontanés, décontractés et s’entendant très bien avec le groupe. Lors de nos observations, nous avons constaté que les regards inexpressifs, mornes, concernent presque exclusivement les élèves “faibles”. Nous avons également observé que la plupart des élèves fixent leur regard sur l’enseignant (autour de 70%). Les professeurs qui attirent le plus les regards sont soit très appréciés de leurs élèves, soit très “directifs”, soit les deux en même temps. Parmi les étudiants qui regardent souvent devant eux, leur livre ou un point fixe, assez peu montrent de l’adhésion au professeur.
Nous avons été tout particulièrement attentifs au fait que l’enseignant regarde indistinctement tous les étudiants. En effet, le regard du professeur est la porte ouverte à la prise de parole de l’élève. Sans ce contact visuel, l’apprenant est indéfectiblement privé de toute possibilité de s’exprimer. D’où l’importance de la distribution équitative du regard parmi tous les étudiants de la classe. Or, il arrive souvent que le regard de l’enseignant ignore très largement une partie du groupe, qui devient presque aussitôt le coin passif de la classe (cela concerne près de 25% des professeurs). Il est difficile de savoir si ce comportement est la cause ou la conséquence du fait que les élèves regardés s’expriment plus facilement ou plus correctement que d’autres: l’enseignant encourage-t-il l’expression de l’élève qu’il regarde plus souvent, qui progressivement améliore ainsi ses compétences à l’oral, ou bien le fait que cet élève s’exprime mieux que d’autres est-il source de satisfaction pour l’enseignant, qui cherche du regard cet élève, attendant de lui une prestation satisfaisante?
Un cas particulier mérite un commentaire: nous avons été amenée à observer un groupe où le professeur ne posait que rarement son regard sur les étudiants, mais fixait un point indéterminé au fond de la classe. Dans ce groupe, les apprenants regardaient peu le professeur. Il y avait un certain relâchement ou une certaine “dispersion” de l’attention provoquée par l’absence de lien visuel avec l’enseignant, qui s’étendait à d’autres aspects du comportement: dissipation, conversations parallèles, manque de concentration, etc.
Remarquons que les apprenants les plus souvent encouragés par l’enseignant, ceux sur lesquels ce dernier porte le plus souvent son regard, auxquels il sourit davantage, qu’il félicite le plus, dont il excuse plus facilement les “erreurs”, qu’il interroge le plus fréquemment, qu’il aide le plus à s’exprimer, portent rarement un jugement négatif sur lui et sur le cours.
La mobilité des apprenants et des enseignants dans la classe
La mobilité des apprenants dans la classe a été choisie comme l’un des indicateurs d’extraversion/spontanéité et de décontraction. Un étudiant très statique est la plupart du temps un élève tendu. L’immense majorité des apprenants ne ressentent aucun besoin de changer de place dans la salle de classe et ils le font savoir dans les réponses aux questions qui leurs ont été posées avant de commencer le cours. Lors de nos observations, nous avons constaté qu’un peu plus de 20% des élèves montrent une certaine mobilité dans la classe, qui se traduit par un changement de posture fréquent, par le fait qu’ils se tournent entièrement du côté de l’élève avec lequel ils travaillent, qu’ils changent plus volontiers de place pour réaliser un jeu de rôle, etc. Il s’agit à une exception près d’étudiants “forts”, extravertis, à l’aise en classe et bien intégrés dans le groupe. Ces constatations montrent que la mobilité est aussi liée aux modalités de réalisation des activités dans la classe, les activités de tandem ou de groupe suscitant, à l’évidence, davantage de mouvements et de déplacement. Les élèves qui en début de cours ne se sont pas fait prier pour changer les tables et les chaises de place, s’installant rapidement en groupe et prenant des initiatives les obligeant à changer de place ont toujours été des élèves avançant rapidement dans leur apprentissage.
En ce qui concerne la mobilité des enseignants, on remarque que 70% des professeurs sont plutôt statiques en classe. Ils tendent alors à rester derrière leur table ou debout devant le tableau. Cette immobilité semble influer sur les élèves, qui se montrent également plus statiques.
La position corporelle
Ce qui suit n’a rien de surprenant: il existe une relation entre la position corporelle détendue et le paramètre « être à l’aise en classe ». Le fait que l’enseignant soit détendu corporellement est vécu comme un facteur contribuant à mettre à l’aise l’élève. La position corporelle de l’apprenant peut varier selon les moments de la classe. Ainsi, un étudiant généralement très détendu peut soudain se crisper au moment où l’enseignant va lui poser une question, par exemple. Le dépouillement des données a mis en évidence le fait que les élèves moins tendus sont tous des étudiants “forts” qui, à une exception près, sont habituellement à l’aise en classe. Les enseignants qui travaillent avec eux contribuent généralement à créer un climat détendu en cours. À l’inverse, les professeurs qui ont le plus d’élèves tendus dans leur classe sont eux-mêmes souvent crispés. Il est plus fréquent que les enseignants soient tendus ou très tendus corporellement en classe (près de la moitié), qu’ils ne soient (très) décontractés (autour de 20%). Le professeur le mieux perçu par ses élèves avait une grande mobilité dans la classe et il était particulièrement détendu. Il se déplaçait dans la salle de classe dans le sens de la largeur, s’asseyait sur la table, croisant dans cette position les jambes, faisant des mouvements de bras, pour donner la parole à un élève, etc.
L’expression faciale
Les expressions faciales ouvertes et détendues sont des indicateurs que nous avons associés à l’extraversion/spontanéité (pour l’apprenant) et au fait de se sentir à l’aise en classe (pour les deux). L’enseignant “parle” aussi avec les muscles de son visage et il peut en jouer, comme il lui arrive de jouer de sa voix, de ses gestes, etc. Le sourire de sympathie fait partie des éléments contribuant à créer un climat détendu, invitant à la prise de parole. Le fait que le professeur, comme il l’annonce lui-même, cherche à donner une image de sérieux limite les occasions d’arborer un sourire (autour de 25% seulement des enseignants sourient (très) souvent. On pourrait dire que l’expression faciale de l’enseignant -qu’elle soit souriante ou sévère- est à rapprocher du ton adopté en classe, dont elle constitue en quelque sorte le corollaire. Mais il est plus fréquent que son visage reflète de la bienveillance, ce qui contribue à une bonne perception de la part des élèves. Les étudiants ne portent pas de jugement positif ou négatif sur l’enseignant sur la base d’un seul critère, mais la bienveillance et la patience semblent peser lourdement sur l’ensemble du jugement porté.
Le ton et l’intensité de la voix
Nous avons vu que le ton patient et bienveillant était lié au climat détendu de la classe et que le ton enjoué et enthousiaste était en rapport avec l’extraversion/spontanéité. Les enseignants décrivent le ton qu’ils adoptent en cours comme un ton sérieux et ferme (40% des réponses), suivi du ton neutre (plus de 30% des réponses), devançant le ton enjoué, chaleureux, cordial, amical, naturel et/ou détendu (autour de 25% des réponses). Ils semblent donc chercher assez généralement à donner une image d’eux mêmes correspondant à l’image traditionnelle de compétence, de fermeté et de sérieux. Nos observations coïncident avec cette description, puisque plus de 50% des enseignants adoptent un ton (très) sérieux.
Des contradictions se font jour avec les attentes des apprenants, puisque ces derniers semblent préférer l’affabilité, la cordialité et la bonne humeur. Les professeurs ont par ailleurs tendance à se montrer patients et bienveillants (près de 70% d’entre eux). Le ton autoritaire, et/ou intransigeant, irrité, menaçant est assez rare (il concerne ponctuellement moins de 25% des professeurs observés). La sensation d’ennui est le motif principal de mécontentement chez l’élève, qui porte presque toujours un regard globalement négatif quand il s’ennuie en cours de langue. Le ton de la voix (vif, enjoué ou au contraire morne et monotone) de l’enseignant est déterminant pour créer une sensation d’ennui. Mais si le professeur est conscient d’adopter un ton sérieux, il est rare qu’il ait conscience de parler sur un ton morne. Pourtant seulement un peu moins de 40% d’entre eux n’adoptent que très peu ou jamais un ton monotone en cours, contre un peu plus de 30% adoptant toujours ou souvent un ton enjoué, enthousiaste et chaleureux.
Le ton est décisif pour interpréter l’intention communicative de l’enseignant, c’est pourquoi ce marqueur mériterait une description particulière associée au verbal, que nous n’aurons malheureusement pas le temps de détailler ici. Disons, toutefois, que le ton bienveillant et patient de l’enseignant s’est révélé être d’une importance primordiale aux yeux des apprenants. À l’opposé, l’enseignant utilise souvent le ton de la plaisanterie pour adresser des critiques à ses élèves, sans pour autant les considérer comme telles, pour des raisons liées à l’apathie et au manque d’intérêt de l’apprenant. La meilleure ou moins bonne acceptation de ces critiques de la part de ce dernier dépend dans une grande mesure du réseau interactionnel existant entre lui et l’enseignant et le groupe-classe en général.
L’intensité de la voix est associée à l’extraversion/spontanéité, au fait d’être à l’aise en classe et à l’implication. Nous considérons qu’un élève qui s’exprime avec une voix inaudible ou basse a des chances d’être un élève introverti, peu spontané, peu à l’aise en classe et s’impliquant difficilement dans son apprentissage. Le recueil des données de nos observations a montré que ce sont presque toujours les apprenants “forts” et pour la plupart des hommes (!) qui s’expriment à voix haute. Le seul élève « fort » s’exprimant à voix basse avait des raisons de se sentir inhibé par l’atmosphère assez tendue de la classe, due à la manière autoritaire et sarcastique qu’avait le professeur de s’adresser aux élèves. L’association avec les paramètres de l’affectivité postulée au départ s’est avérée juste.
Les bâillements
Les bâillements sont considérés comme étant liés (en négatif) à l’implication et à l’adhésion au professeur. Il n’est pas très fréquent que les apprenants bâillent en classe, cependant plus de 25% le font parfois ou assez souvent. Parmi ces derniers, un peu plus de 60% sont des élèves “faibles”. Un seul étudiant a démontré être extraverti, décontracté, intégré au groupe et impliqué. Un peu plus de la moitié ont dit avoir trouvé le cours ennuyeux, à cause de la lenteur du rythme de la classe. Dans un cas, les bâillements ostensibles d’un élève, presque sous les yeux de l’enseignant, pouvaient difficilement être interprétés autrement que comme une manifestation de non adhésion à ce que faisait le professeur.
Le rire
Le rire en classe de LE a fait l’objet d’une étude assez précise de la part de C. Foerster (1990: 89). Le rire, à ses yeux, et en rapport avec le contenu verbal, surgit notamment a) à propos d’une erreur (exprimant la gêne ou jouant le rôle “correcteur”, incitant à ne pas répéter le comportement source du rire, tel que le définit Bergson); b) le sourire ou le rire satisfaction d’avoir compris, ou de s’être bien exprimé; c) déclenché par un contenu verbal humoristique. En relation au groupe, le rire ou le sourire sont exprimés a) au moment du choix de l’interlocuteur (par celui qui choisit, celui qui est choisi ou le groupe); b) en signe de complicité (dans un groupe préparant un sketch, par exemple); c) le sourire de satisfaction ou de soulagement d’avoir accompli une tâche commune; d) déclenchés par des situations de jeu à caractère comique (homme jouant le rôle de femme, par exemple) et qui a une fonction de détente, comme le rire faisant suite à un énoncé humoristique. L. Schiffler (1980), pour sa part, a mis l’accent sur le rire utilisé par l’enseignant pour asseoir son autorité. Le rire étant craint, quand il équivaut à une moquerie, constitue en effet un pouvoir, dont peut faire usage l’enseignant ou un élève. Le rire est fréquemment utilisé, en particulier par les adolescents, comme une arme pour éviter d’être soi-même la cible des moqueries du groupe.
Les enseignants qui cherchent à orchestrer le rire du groupe (comme un moyen d’exercer un pouvoir et une autorité sur la classe) sont des professeurs tendant à adopter un style autoritaire. Ils sont peu nombreux (un peu plus de 10%) et ne le font qu’occasionnellement. Par contre, ils sont plus nombreux à utiliser le rire moqueur ou critique, pensant le plus souvent mettre de la bonne humeur dans la classe. Seuls 15% utilisent le rire de manière exclusivement humoristique, avec un effet de détente. Ils sont donc nombreux à utiliser au moins sporadiquement le rire moqueur ou équivalant à une critique.
Les étudiants rient beaucoup plus fréquemment qu’ils ne plaisantent en classe, le rire adoptant les différentes modalités décrites ci-dessus. Les élèves plaisantant et riant en classe sont le plus souvent des élèves “forts”, spontanés et à l’aise en classe mais qui n’apprécient pas forcément le cours auquel ils prennent part. Nous avons observé, en particulier chez des adolescents, l’utilisation du rire nerveux comme moyen d’éviter de prendre la parole. Il est rare, toutefois, que les apprenants rient de leurs propres erreurs (moins de 10% des élèves observés). Mais nous avons pu observer un élève capable de rire de ses propres erreurs dans des conditions très difficiles, alors qu’il était soumis aux sarcasmes de l’enseignant (!). Les professeurs capables de distinguer le rire moqueur du rire détendu et sachant éviter le premier et laisser libre cours ou susciter le second sont le plus souvent bien jugés par leurs élèves. La manière adoptée par certains enseignants afin d’éviter le rire moqueur est de ne pas rire lui-même et, si besoin est, de mettre immédiatement dans l’embarras (par une question difficile, par exemple) l’auteur de la moquerie. Cette attitude est à rapprocher de la bienveillance et de la patience très plébiscitées par les étudiants. La conséquence des moqueries et des rires de dérision tolérés ou déclenchés par l’enseignant, s’est manifestée par une réaction de défense se traduisant par une grande tension faciale et corporelle, pouvant aller jusqu’à une attitude de fuite (élève partant avant l’heure).
D’une manière générale, parmi tous les paramètres analysés, l’implication et l’extraversion de l’élève semblent tout particulièrement influer sur l’acquisition de la langue étrangère. Une étude quantitative mesurant leur association avec certaines compétences linguistiques le montre. Ces deux paramètres influent en particulier sur l’expression orale, la phonétique et les compétences globales. On peut donc dire que, sur le plan du verbal et du non verbal, le regard porté indistinctement sur tous les élèves, l’encouragement aux échanges entre étudiants, l’effacement de l’enseignant qui donne à tout moment la parole aux étudiants; le ton enjoué, enthousiaste, chaleureux, l’expression faciale ouverte, détendue, la mobilité du professeur et des élèves dans la classe, font partie des comportement que l’on peut considérer, de ces points de vue, favorables. Si l’on se situe par rapport aux perceptions qu’ont les élèves et aux jugements qu’ils portent sur les événements de la classe, on verra qu’ils apprécient avant tout l’attitude dynamique, bienveillante et l’image de compétence et de clarté d’idées que transmet le professeur. Ils sont très sensibles au fait que l’enseignant n’ignore aucun élève du groupe, donne sa chance à tous et bannisse toute moquerie et sarcasme de la classe. On rejoint ici l’idée de la priorité donnée au regard et à une qualité rarement mentionnée en didactique: la bienveillance. Au-delà des comportements ponctuels abordés, se devine la partie submergée de l’iceberg qui donne tout son sens à chaque acte visible. Par-delà les gestes, apparaissent certaines valeurs d’ordre éthique, qui constituent le substrat des actions observées. L’implication de l’élève, notamment, ne peut pas avoir lieu si l’enseignant ne porte pas lui-même d’intérêt aux apprenants en tant que personne. C’est de l’intérêt qu’il leur porte que dépend l’intérêt porté par ses élèves aux autres, entre autres comportements d’ordre affectif de grande importance.
Ce parcours trop rapide de certains comportements non verbaux, tels qu’ils apparaissent dans ce microcosme singulier qu’est la classe de langue étrangère, laisse dans l’esprit un double sentiment. On comprend l’intérêt que mérite chacun d’entre eux pris séparément, tant il y a de facettes à explorer et à analyser, et on a en même temps l’impression qu’on se trouve face à une trame extrêmement complexe, faite de fils s’entrecroisant, de plans se superposant, où chaque intervenant apporte une tonalité, interprète une partition faisant écho aux autres, insufflant au tout une dynamique en perpétuel devenir. Il y a là de l’insaisissable, puisque ce qui pouvait être vrai aujourd’hui ne l’est peut-être plus demain. Le plan du cognitif, celui de l’affectif, le besoin d’être guidé et celui d’être autonome, le désir d’ordre, de systématicité et de correction et celui de fantaisie, de communication; l’envie d’être reconnu et apprécié par l’enseignant et celle d’avoir des échanges vrais avec la classe, tous ces facteurs se côtoient à tout moment, dans tout ce qu’ils peuvent avoir de contradictoire. Le non verbal, dans ce contexte, est un instrument de plus dans ce concert en gestation, une mélodie de plus dans cette symphonie. Mais, si nous voulons répondre à la question de J. Arditty (2005: 9): «(...) la didactique et la pédagogie sont-elles des champs d’application de théories développées par d’autres disciplines, dont la linguistique, ou doivent-elles partir de l’observation attentive de ce qui se passe dans les classes (...)? È nous dirons bien évidemment que l’observation attentive, même balbutiante, est la seule capable de donner les réponses dont nous avons besoin en tant qu’enseignant.
Références